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Question de Mme Marion Canalès (Puy-de-Dôme - SER) publiée le 04/04/2024

Mme Marion Canalès attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la surpopulation carcérale.

Au cours de la période épidémique du covid-19, la population carcérale a diminué de façon substantielle. Les taux d'occupation s'élèvent aujourd'hui à des niveaux jamais atteints : 123 % au global, 147 % dans les maisons d'arrêt et, dans certains établissements, jusqu'à 200 %.

Cette situation n'épargne pas le centre pénitentiaire de Riom, pourtant construit spécifiquement avec l'objectif de garantir aux personnes privées de liberté des conditions de vie dignes, conformes aux plus élémentaires des droits de l'homme. Alors que les cellules ont été construites pour n'accueillir qu'un seul détenu, le taux d'occupation connaît une augmentation continue et s'établit aujourd'hui à 125 % dans son quartier correspondant à une maison d'arrêt.
Ce centre, comme d'autres, souffre également d'un défaut d'encadrement, puisqu'il y manquerait plus de 30 surveillants.

Manque d'encadrement et surpopulation carcérale nourrissent conflits et violences, tout en empêchant la mise en place de programmes de réinsertion. Parallèlement, la réduction de la surpopulation carcérale doit également passer par un travail de réinsertion qui permet d'éviter la récidive et le retour en prison. Il est donc essentiel d'améliorer le processus de réinsertion et notamment l'accès à l'enseignement.

L'indignité des conditions de détention que produisent des taux d'occupation aussi élevés, additionnée, entre autres, à un manque d'accès aux soins, à des températures extrêmes, à des installations de matelas à même le sol, ont valu à la France plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme, dont la dernière en date de juillet 2023. Au mois de mars 2024, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a fait part de sa « profonde préoccupation » face à « l'aggravation de la situation ». Pour mettre un terme à la surpopulation carcérale, le comité des ministres invite la France à « s'attaqu[er] à ses causes profondes et en évaluant, de manière détaillée, l'impact des dernières réformes » et à « examiner sérieusement et rapidement l'idée d'introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale ».

Pourtant, pour faire face à la surpopulation carcérale, son ministère a fait le choix de lancer divers projets d'infrastructures pénitentiaires, alors même que les études montrent que l'augmentation de la population carcérale croît avec l'augmentation du nombre de places. L'ouverture de nouvelles places de prison n'aura donc, à long terme, aucun effet sur la surpopulation.

Dans le même temps, il apparaît que le mécanisme de libération sous contrainte de plein droit est un échec de l'avis de l'ensemble des acteurs, de même que la réforme des réductions de peine, qui n'a pas eu d'effet positif sur la réduction de la durée des peines.

Afin de mettre en conformité nos conditions de détention et de permettre une réinsertion des détenus, elle lui demande si son ministère compte mettre en place un mécanisme national contraignant de régulation carcérale et initier un plan spécifique.

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Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargé de l'enfance, de la jeunesse et des familles publiée le 10/04/2024

Réponse apportée en séance publique le 09/04/2024

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, auteure de la question n° 1211, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, au cours de la pandémie du covid-19, la population carcérale a diminué de façon substantielle. Aujourd'hui, les taux d'occupation sont à des niveaux jamais atteints : 123 % globalement ; 200 % dans certains établissements. Au total, 77 000 détenus sont à ce jour recensés par la direction de l'administration pénitentiaire.

Cette situation n'épargne pas le centre pénitentiaire de Riom, pourtant récemment construit avec l'objectif de garantir des conditions de vie dignes aux personnes privées de liberté. Les cellules ont été construites pour n'accueillir qu'un seul détenu, mais le taux d'occupation s'établit aujourd'hui à 125 %.

Ce centre souffre également, comme d'autres, d'un défaut d'encadrement, puisqu'il manquerait presque trente surveillants. Manque d'encadrement et surpopulation carcérale nourrissent des conflits, de la violence, tout en empêchant de mettre en place des programmes de réinsertion qui fonctionnent.

La réduction de la surpopulation carcérale doit notamment passer par un travail de réinsertion, qui permet d'éviter la récidive, donc le retour en prison. Il est par conséquent essentiel d'améliorer ce volet, notamment l'accès à l'enseignement supérieur. Or une circulaire de 2009 interdit toujours l'usage des clés USB, qui sont des supports indispensables pour des travaux universitaires.

La France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment en juillet 2023, pour ce problème de surpopulation. Au mois de mars 2024, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a fait part de sa profonde préoccupation face à l'aggravation de la situation.

Mettre un terme à la surpopulation carcérale ne passe pas nécessairement par la construction de places de prison, puisque plus on construit, plus il y a de détenus. Le comité des ministres invite ainsi la France à s'attaquer aux causes profondes du phénomène, en évaluant de manière détaillée l'impact des dernières réformes pour aboutir rapidement à un mécanisme national contraignant de régulation carcérale.

Pourtant, le ministère de la justice a décidé de lancer des projets d'infrastructure, alors même, je le répète, qu'il est prouvé que la surpopulation carcérale croît à mesure que le nombre de places augmente. J'y insiste, l'ouverture de nouvelles places n'est pas la bonne réponse.

Dans le même temps, il appert que le mécanisme de libération sous contrainte de plein droit est un échec, de l'avis de l'ensemble des acteurs, de même que la réforme du mécanisme de réduction des peines, qui n'a pas eu d'effets positifs.

La prison est devenue la dernière réponse, en bout de liste, à toutes les défaillances complexes de la société. On y trouve ainsi beaucoup de personnes atteintes de troubles psychiatriques.

Afin de mettre en conformité nos conditions de détention, le Gouvernement compte-t-il actualiser la circulaire de 2009 ? Envisagez-vous un mécanisme national contraignant de régulation carcérale pour garantir en France des conditions de vie des détenus et de travail des agents qui soient dignes ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles. Madame la sénatrice Canalès, je partage bien évidemment votre volonté de lutter contre la surpopulation carcérale. Je ne reviens pas sur la livraison des 15 000 nouvelles places de prison issues de l'ambitieux programme immobilier pénitentiaire décidé par le Président de la République, auquel le garde des sceaux est également très attaché.

Les établissements sont implantés dans les territoires qui connaissent les taux de surpopulation les plus importants. Au 1er janvier 2024, dix-neuf établissements ont été livrés. Cela représente 4 103 places nettes. Près de la moitié des établissements du programme seront opérationnels au cours de cette année.

Le garde des sceaux a demandé à la direction de l'administration pénitentiaire d'accélérer les transferts des condamnés vers les établissements pour peine afin de limiter la surpopulation de nos maisons d'arrêt, tout en garantissant la réponse pénale. Le taux d'occupation de ces établissements est passé de 90 % en moyenne à près de 97 % en trois ans, avec l'utilisation de plus de 4 000 places qui étaient vacantes avant ces opérations d'optimisation.

L'instauration d'un dialogue piloté à l'échelon de chaque cour d'appel, avec le concours des directions interrégionales de l'administration pénitentiaire, dans le cadre de réunions régulières, constitue un autre levier de régulation de la surpopulation carcérale.

Aller plus loin en créant un mécanisme généralisé de régulation carcérale qui impliquerait de fait un numerus clausus nous semble contraire aux enjeux en matière de traitement de la délinquance et d'efficacité de la réponse pénale, sans compter les questions juridiques, voire constitutionnelles qui peuvent se poser, notamment au titre du principe d'égalité devant la loi.

En ce qui concerne l'accès à l'enseignement supérieur, via l'utilisation par les détenus de clés USB, ou de la réinsertion, au travers de la réflexion sur l'utilité de la peine, je ne manquerai pas, madame la sénatrice, de relayer vos préoccupations auprès du garde des sceaux.

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